La 120è année de la Société Française d'ORL

Juillet 2001 par le Professeur F. Legent

De l’accouchement aux forceps

au dernier lifting.





Lorsqu’on admire une jolie femme en bonne santé apparente, pleine de vie, on imagine difficilement les affres de sa naissance , et les multiples liftings subis pour lui permettre de faire oublier son âge. Ce fut pourtant le cas de la Société Française d’ORL , qui entre allègrement dans sa 120ème année.

On en doit l’idée à Émile Moure, un des tout premiers ORL au vrai sens du terme puisqu’au début des années 1880, nos «anciens» comprenaient surtout des auristes et de rares spécialistes du larynx. Certes, il existait déjà une revue d’ORL, les «Annales des Maladies de l’oreille et du larynx - otoscopie, laryngoscopie, rhinoscopie», fondée en 1875, devenue en 1877 «Annales des Maladies de l’oreille, du larynx, et des organes connexes». Elle avait été fondée par des parisiens, deux laryngologistes, Isambert et Krishaber, et un otologiste, Ladreit de la Charrière. Moure, après une formation à Paris, Vienne et Londres, créa en 1880 la «Revue mensuelle de Laryngologie, d’otologie, et de rhinologie». Dès l’année suivante, devant le succès de sa revue, Moure de Bordeaux exprimait l’idée de créer, «à l’exemple de nos confrères d’outre-mer, une Association laryngologique et otologique dont les membres se réuniraient à Paris d’abord et dans les principales villes de province ensuite pour y discuter les questions importantes et encore obscures de cette pathologie presque toute entière à l’étude» .

La Société Française d’Otologie et de Laryngologie fut crée en novembre 1882 , lors d’une première assemblée constitutive de 16 membres dont deux provinciaux. Elle tint son premier congrès en mars 1883 où furent discutés les statuts. Elle comprenait 16 parisiens, 13 provinciaux, et 9 étrangers. Son «comité de direction » était formé de 5 parisiens, de Moure pour la province et d’un confrère belge. Il était prévu trois réunions par an, en janvier et en octobre, avec une réunion générale au moment de Pâques. La Revue de Laryngologie acceptait d’en publier les compte-rendus. La Société Française d’Otologie et de Laryngologie se trouvait être alors une des plus anciennes sociétés nationales. Avec un nombre d’adhérents passant de 40 à 80 en quelques années, le succès de cette Société Française dépassa les prévisions de ses fondateurs. On comprend que certains confrères aient pu en prendre ombrage . Une véritable OPA (pas très amicale) fut déclenchée contre la Société Française avant sa dixième année d’existence !

En 1890, il avait été décidé de ne plus organiser qu’une réunion annuelle, le premier lundi de mai. Le motif de l’OPA était trouvé : la Société Française ne se réunissait pas assez souvent. L’opération fut rondement mené, à faire pâlir de jalousie les « raiders» actuels :
Avril 1891 : Les Annales publiaient le communiqué suivant : «Le comité de la Société Française d’Otologie et de Laryngologie, frappé des inconvénients d’une réunion trop rare des laryngologistes et des otologistes français, a convoqué les spécialistes parisiens à l’effet de proposer la fondation d’une Société Parisienne d’Otologie, Laryngologie et Rhinologie». Vingt cinq confrères parisiens participèrent ainsi à la fondation d’une société à réunion mensuelle. La première réunion était prévue pour le mois de juin. Il y a tout lieu de penser que le dit comité ne devait pas comprendre beaucoup de provinciaux lorsqu’il se réunit, bien avant le congrès annuel.

Mai 1891 : lors du congrès annuel de la Société Française , alors que l’ordre du jour n’en faisait pas état, des membres parisiens proposèrent de fusionner les deux sociétés, sous la bannière de la Société Parisienne à peine naissante. Comme l’expliquait E. Moure en 1930 dans la Revue de Laryngologie, «la majorité des membres présents, presque tous parisiens du reste, se rallia à la proposition de M. Gouguenheim conçue en ces termes : il sera nommé une commission qui étudiera cette question et qui présentera un rapport à la Société convoquée en réunion extraordinaire avant trois mois. Les membres de la Société pourront envoyer leur vote par correspondance».

Novembre 1891 : Lors de la réunion mensuelle de la Société de Paris , le résultat du vote était donné : 39 voix pour et 11 contre. Les membres de la Société de Paris étaient invités à accepter ou à rejeter ce vote. «A la majorité des voix le vote est accepté». A la suite de ce vote, le Dr Gouguenheim a annoncé qu’il déposerait sur le bureau à l’ordre du jour de la prochaine séance une motion pour une modification de l’article suivant du règlement :
Art. 6- Pour être nommé membre titulaire, il faut être docteur en médecine, Français, résider et exercer à Paris etc...
Pourront être nommés membres titulaires, sur leur demande, les membres titulaires de l’ancienne Société Française de laryngologie et d’otologie.

Ainsi, la Société Française était supprimée, mais ses membres avaient le privilège de pouvoir devenir membre de la Société de Paris !
Le compte rendu de cette réunion de novembre évoquait déjà la Société Française au passé, sans envisager si ses membres «accepteraient le vote» de la fusion comme il en avait été pour la Société de Paris. Mais c’était sans compter sans la détermination des provinciaux de conserver leur société nationale Certains se rébiffèrent, refusant de devenir des "membres correspondants" d'une société parisienne alors que, jusqu'alors, tous les membres de la société nationale, parisiens provinciaux et étrangers, avaient les mêmes droits
. Or, selon le règlement, la Société Française ne pouvait être l’objet d’une dissolution qu’à l’unanimité des voix des sociétaires présents, après avoir été inscrite à l’ordre du jour de la session générale ! Une pétition signée par 11 provinciaux, adressée à tous les membres de la Société Française, les invitait à se réunir comme d’habitude en mai 1892 avec un bureau provisoire. Ce fut l’occasion de réaliser la première modification des statuts pour éviter «une nouvelle suppression». Un nouveau bureau fut élu avec pour président Miot, un parisien. Dans la liste des 53 membres qui «refondèrent» la Société Française , quelques grands noms parisiens avaient disparu, probablement ceux de quelques promoteurs de la tentative d’OPA. La Société Française profitait de ce changement pour prendre le nom de «Société Française d’Otologie, de Laryngologie et de Rhinologie» ; elle faisait officiellement état du troisième pilier de notre spécialité, la rhinologie. Sur la page de couverture du bulletin de cette année 1892, on voit apparaître «rhinologie» en petits caractères, au-dessous des deux grandes sœurs. Elle s’engageait à éditer les «Bulletins et mémoires» des travaux et les deux ou trois rapports présentés à chaque congrès annuel.

Quant à la Société Parisienne, elle bénéficia d’un beau pactole car son trésorier n’avait pas voulu abandonner le trésor de guerre provenant de la réunification. Mais elle s’essouffla rapidement au rythme de neuf réunions par an. En 1894, on ne trouve dans ses Bulletins et mémoires parus après chaque réunion, que deux à trois communications par séance. Est-ce pour inciter à une plus grande fréquentation que la Société décida , en janvier 1894 , de faire signer une feuille de présence et de publier le nom des présents? On découvre qu’ils ne sont que huit à neuf lors des séances suivantes. En 1895, les Bulletins et mémoires cessèrent de paraître; les comptes-rendus des séances furent publiés dans les Archives internationales de Laryngologie, fondées par Luc et Rouault. Les Bulletins réapparurent en 1903, mais à un rythme annuel. Leur lecture révèle une plus grande présence de participants et des séances plus étoffées. Ils cessèrent de paraître en 1914, ne survivant pas à la guerre.
Émile Moure, qui fut l’artisan non seulement de la création de la Société Française mais aussi de sa survie, concluait ainsi la saga de la Société de Paris dans son article sur l’ « Histoire de la Société Française d’oto-rhino-laryngologie » parue en 1930 : « Peu de temps après, la Société Parisienne mourut de sa belle mort, tandis que la Société Française survécut et prospéra d’années en années pour arriver au nombre imposant de membres qui la composent actuellement. »
Depuis cet épisode , la Société Française subit plusieurs modifications des statuts. En 1907, l’assemblée générale adoptait deux propositions : le congrès prenait l’appellation de « Congrès français d’O.R.L. » , et la Société changeait de nom pour devenir la « Société Française d’Oto-Rhino-Laryngologie ». La rhinologie avait ainsi acquit la parité avec les deux grandes sœurs, qui, depuis, n’ont cessé de l’encadrer. En 1965, l’intitulé s’enrichissait officiellement de la « pathologie cervicofaciale ». En 1998, « pathologie cervicofaciale » se muait en « chirurgie de la face et du cou » . Et début 2001, pour le nouveau millénaire, la Société Française a fait une grande cure de jouvence avec un vote par correspondance, la deuxième fois dans son histoire, à 110 ans d’intervalle.

Références

- Annales des Maladies de l’oreille, du larynx, du nez et du pharynx : années 1891-93».
- Revue mensuelle de Laryngologie, d’otologie, et de rhinologie ». mai 1883, octobre 1930

- Les Bulletins et mémoires des premières années des deux Sociétés, Française et de Paris, sont sur le site de la BIUM de Paris à :
http://www.bium.univ-paris5.fr/histmed/medica/orl.htm