Évolution des idées dans le traitement des otites chroniques
Depuis plus d'un siècle et demi, le traitement de l'inflammation chronique de l'oreille moyenne a été le sujet de vives controverses donnant souvent l'occasion d'assister à des prises de position tranchées, voire passionnelles ou dogmatiques. Le trajet a été parsemé de nombreuses embûches. Ce regard sur le passé montre que les conceptions actuelles sont l'aboutissement d'un long cheminement, et qu'il y a tout lieu de penser que le parcours n'est pas terminé. Il donne une leçon de modestie et amène à regarder avec philosophie les vérités d'un jour. Enfin, cette étude fait découvrir que les auteurs des plus grandes innovations ne sont pas toujours les mieux connus.
L'étude de l'évolution des conceptions thérapeutiques ne peut se concevoir qu'avec l'éclairage de l'évolution des idées concernant la pathologie inflammatoire de l'oreille moyenne. En fait, ces deux histoires s'épaulent mutuellement, tout en sachant que certaines thérapeutiques dépendent plus de la hardiesse de leurs concepteurs que de déductions logiques. L'histoire des thérapeutiques montre que l'évolution procède souvent par bonds, entrecoupés de périodes de calme propices aussi bien aux perfectionnements qu'au rejet des innovations. S'il est relativement facile de baliser l'histoire des divers procédés thérapeutiques , il en est autrement pour les conceptions de la pathologie dont les cheminements sont souvent beaucoup plus progressifs et l'émergence beaucoup moins spectaculaire.
Pendant longtemps, la pathologie de l'oreille fut classée en deux grands groupes selon que les stigmates de la maladie étaient visibles en otoscopie ou restaient invisibles. On trouve encore cette classification dans le "Traité des maladies de l'oreille" de Itard paru en 1822. C'est en fait la pratique du cathétérisme tubaire qui permit d'individualiser la pathologie inflammatoire de l'oreille moyenne.
Le "Traité des maladies de l'oreille" de Kramer paru en 1838 fut probablement le premier à classer les maladies de l'oreille en trois grands chapitres selon qu'elles appartiennent à l'oreille externe, à l'oreille moyenne ou à l'oreille interne. Cet ouvrage fut traduit en 1848 par Prosper Ménière qui le considérait comme le meilleur travail depuis celui de Itard . Cette nouvelle classification fut une étape décisive sur le chemin du progrès en otologie. Cette période de la fin de la première moitié du I9ème siècle marque vraiment le début de l'otologie avec une classification logique des maladies, le tout début de l'examen au diapason avec Weber (1834), et la mise au point d'une séméiologie otoscopique.Mais c'est surtout grâce à la nouvelle méthode d'otoscopie que cette séméiologie a pu être établie.
C'est à Von Trltsch, vers 1860, qu'on doit, avec le recours au miroir concave, une amélioration fondamentale pour examiner les tympans en libérant les deux mains; jusqu'alors, les nombreux appareils inventés pour éclairer le conduit, "beaucoup plus ingénieux que pratiques", n'étaient guère utilisés. Le miroir concave, que Von Trltsch fixait sur une monture de lunettes avec une articulation, allait être rapidement adopté par les auristes. Mail il faut croire que l'otoscopie n'était pas une grande préoccupation du corps médical puisque les fondateurs des "Annales des Maladies de l'Oreille et du Larynx" , en 1875, sous-titraient leur nouvelle revue de "(otoscopie, laryngoscopie, rhinoscopie)" . Dans leur préface, ils constataient amèrement que beaucoup trop des maladies de la spécialité étaient soignées sans examen des organes malades.
Depuis cette deuxième partie du 19ème siècle, toutes les thérapeutiques ne seront plus proposées quelque soit la maladie d'oreille. De même, les thérapeutiques fantaisistes, type saignées, purgatifs, sangsues sur les tempes etc. n'auront plus que quelques années à survivre. Dès cette époque, deux grands groupes d'inflammation chronique de l'oreille moyenne étaient reconnus:
les otites moyennes chroniques à tympan fermé,
les otites purulentes chroniques.
1- Les otites chroniques à tympan fermé
La pathologie
Ces otites ont été décrites sous diverses dénominations, notamment "inflammation de la muqueuse de l'oreille moyenne", "engouement de la trompe". Une des premières descriptions cliniques des otites séro-muqueuses parait être celle qu'en fit Prosper Ménière dans la traduction du "Traité des maladies de l'oreille" de Kramer. L'otologiste parisien ne s'était pas contenté de traduire le travail de son collègue berlinois, mais il ajoutait d'abondantes notes et "additions du traducteur" qui constituent un véritable livre à l'intérieur du Traité. Il donnait ainsi ses conceptions de la pathologie de l'oreille moyenne et n'hésitait pas à critiquer vertement Kramer qui, lui-même, avait des opinions très tranchées .
"Il manque un point important à la symptomatologie des inflammations de la caisse. M. Kramer, qui blâme si fort les auteurs, ses devanciers ou ses contemporains, à l'occasion du peu de soin qu'ils mettent dans l'examen des parties malades, n'a pas suffisamment exploré le tympan des individus affectés d'engouement muqueux de la caisse. Il aurait certainement vu que, dans la grande majorité des cas, cette membrane prend des caractères particuliers capables d'indiquer la lésion de l'oreille moyenne. Chez tous les enfants d'une constitution lymphatique, le tympan offre une teinte plus ou moins violacée; et dés que la trompe est obstruée, dés que la caisse se remplit de mucus, cette membrane devient d'un rouge foncé et prend bientôt la couleur plombée ou même ardoisée. Il est aisé de voir que cette coloration est la conséquence de la lésion de la caisse et que le feuillet muqueux qui tapisse intérieurement la caisse participe à la maladie de toute la cavité de l'oreille moyenne". Prosper Ménière a donc été novateur non seulement dans le domaine de la pathologie de l'oreille interne mais aussi dans celle de l'oreille moyenne.
Au cours des décennies suivantes, l'inflammation chronique de l'oreille moyenne a été le sujet de descriptions plus précises, notamment par Politzer dans son "Traité des maladies de l'oreille" paru en 1878. Sous le terme de "catarrhe de l'oreille moyenne", il en brossait parfaitement la séméiologie. Au début du 20ème siècle, Lermoyez, fortement influencé par l'Ecole de Vienne et notamment par Politzer, décrivait encore le "catarrhe tubaire chronique avec hypersécrétion séro-muqueuse". Mais pendant presque toute la première moitié de notre siècle, cette pathologie inflammatoire chronique de l'oreille moyenne à tympan fermé ne parait guère avoir intéressé les otologistes. Il a fallu attendre l'après-guerre, vers les années 50, pour assister au renouveau de cette pathologie, grâce aux publications d'auteurs américains qui s'intéressaient aux "otites moyennes sécrétoires", et à la remise en actualité de l'aérateur transtympanique par Armstrong, en 1954.
Les traitements tubaires.
Le cathétérisme tubaire peut être considéré comme le premier en date des traitements actifs proposés pour la pathologie de l'oreille et remonte à 1724. En effet, c'est à cette époque qu'un maître de poste de Versailles, Guyot, aurait été guéri d'une surdité ancienne en s'injectant lui-même un liquide dans les trompes d'Eustache, à l'aide d'un tube en étain passé par la bouche. Son rapport à l'Académie de Paris ne rencontra aucune créance. Quelques années aprés, un médecin militaire anglais, Cleland, améliora la technique en réalisant l'intervention par voie nasale, mais il n'eut guère plus de succés.
Dans une communication à l'Académie de Médecine en 1827, Deleau proposait des injections d'air dans la trompe pour le diagnostic et le traitement des affections de l'oreille moyenne, pour remplacer les injections de liquides. Imprégné des idées de Laënnec, il montra l'intérêt séméiologique de l'auscultation auriculaire en plaçant son oreille sur celle du patient lors de l'insufflation tubaire. Kramer améliora cette technique en interposant un tube d'auscultation entre les deux oreilles lui permettant de décrire toute une séméiologie à l'identique de l'auscultation pulmonaire. Les travaux de Deleau et ceux de Itard relancèrent cette thérapeutique tubaire qui connut dès lors un très grand succès.
A côté de ces procédés de traitement improprement appelés "cathétérisme tubaire", était proposé un traitement sans cathétérisme avec la technique de Valsalva connue depuis le début du 18ème siècle, et la "douche d'air" avec poire de caoutchouc inventée par Deleau et améliorée plus tard (en 1863) par Politzer, en y associant des mouvements de déglutition.
Le sondage ou bougirage de la trompe a été proposé par Saissy et Itard, au début du 19ème siècle. Cette technique fut mise en doute pendant quelque temps, puis relancée par Kramer au milieu du 19ème siècle. Dès lors, elle a connu un très vif succès. Les discussions portaient surtout sur le matériau: caoutchouc, étain, papier mâché, cordes à boyau (le plus souvent cordes la et ré de violon). Certains n'hésitaient pas à ramoner la trompe en récupérant l'extrémité de la bougie par l'oreille et même à placer des laminaires (Schwartze) pour dilater la trompe. Mais au 4ème congrès @ de Bâle en 1884, beaucoup d'auteurs rapportèrent de graves accidents provoqués par cette technique. Des cas de vérole, supposée inoculée par les sondes, avaient été rapportés devant l'académie de Médecine.
Lermoyez, au cours de son séjour à Vienne dont il fit un rapport détaillé en 1894, avait noté les attitudes opposées de certains auristes comme Politzer, qui utilisaient avec réticence ce procédé alors que Urbantschitsch , autre Professeur d'Otologie à Vienne, le recommandait chaudement. En 1895, Emile Ménière écrivait: " je ne puis comprendre ce qui peut faire redouter une thérapeutique aussi rationnelle". L'auteur trempait la bougie en gomme dans de la teinture d'iode pure, la poussait à travers le cathéter et badigeonnait ainsi la muqueuse de l'isthme tubaire. Ce procédé disparut au début du 20 ème siècle.
L'ouverture tympanique
Elle fit son apparition à la fin du 18ème siècle, réalisée d'abord par des opérateurs volontiers qualifiés rétrospectivement de charlatans par les futurs auristes. Au tout début du 19ème siècle, elle connut un très grand succès chez certains "hommes de science", et notamment Deleau qui publia, en 1822, un mémoire sur la "perforation de la membrane du tympan".
Appliquée volontiers à tous les types de surdité, cette nouvelle thérapeutique entraîna de nombreux déboires et, semble-t-il, quelques morts. Elle fut totalement rejetée par les auristes allemands. Kramer écrivait en 1848 : "Le juste discrédit où tombe cette opération qui n'était fondée sur rien de positif l'a fait disparaître de la pratique chirurgicale. On a oublié ses promesses mensongères, et si elle est encore quelquefois recommandée dans le traitement de la surdité, ce ne peut être que par des personnes étrangères au progrès récent de la médecine acoustique". Ce à quoi répondait Prosper Ménière: "l'ouverture artificielle de la membrane du tympan me parait parfaitement indiquée lorsque l'air ne peut arriver dans la caisse par la voie normale. j'ai agi plusieurs fois conformément à ce principe et j'ai eu à m'en applaudir". D'autres Français, tel Bonnafont, la pratiquaient régulièrement. Mais il fallut attendre les années 1860 pour voir cette thérapeutique relancée par Schwartze dans les Pays de langue allemande. Politzer en fut un fervent partisan et la considérait comme une des interventions thérapeutiques les plus importantes; il la recommandait volontiers dans le catarrhe chronique en cas d'échec du traitement tubaire. Très tôt, les auristes avaient découvert que la perforation ne pouvait persister en dehors d'une otorrhée. Deleau et Fabrizi, de Modène, ont été probablement les premiers à proposer de substituer une myringectomie partielle à la simple myringotomie. Pour réaliser cette myringectomie, de nombreux instruments furent proposés: trocart, emporte-pièce, perforateur, foret spirale etc. Malgré cette résection, la perforation se refermait, même en y associant l'ablation du marteau. Cette intervention donnait aux auristes l'occasion de remarquer que l'ablation d'une partie de la membrane et du marteau n'entraînait pas nécessairement de baisse d'audition, bien au contraire. Il se souviendront plus tard de cette notion pour le traitement des otites purulentes chroniques .
L'aération permanente.
On en trouve une excellente étude dans le premier volume des "Annales des Maladies de l'Oreille et du Larynx", en 1875. L'article de Lévi intitulé "Des divers moyens proposés pour maintenir ouverte une perforation chirurgicale de la membrane du tympan", fait état des nombreuses techniques proposées: canule en or de Frank en 1845, la canule de Bonnafont en 1860, puis un oeillet du même auteur, oeillet en caoutchouc de Politzer en 1968, anneau en or de Voltolini en 1874. Toutes ces tentatives furent vouées à l'échec, à tel point que certains auteurs proposèrent des moyens chimiques de destruction tympanique. Simrok, de New-York, n'hésitait pas à utiliser de l'acide sulfurique. et répétait les applications "pour diminuer la vitalité du tympan". Pendant près de trois quarts de siècle, l'aérateur transtympanique disparaîtra de l'arsenal thérapeutique.
La raréfaction de l'air et le massage tympanique
Dés le début du 19ème siècle, quelques auteurs signalaient la valeur thérapeutique de la raréfaction de l'air dans le conduit auditif externe. Ils utilisaient une seringue avec un embout olivaire pour pouvoir aspirer l'air. A la fin du siècle, le belge Delstanche proposa divers appareils pour maîtriser cette raréfaction d'air qui prit le nom de massage tympanique. Politzer vint à Bruxelles pour effectuer avec Delstanche des travaux expérimentaux sur cette thérapeutique; il en vanta les mérites dans un mémoire paru dans les Annales de 1898. Les indications étaient très larges, et concernaient notamment les catarrhes de l'oreille moyenne, et certaines otites suppurées chroniques. En 1921, dans son " Traité des affections de l'oreille" , Lermoyez consacrait encore tout un chapitre à cette thérapeutique totalement oubliée maintenant.
Le traitement rhinopharyngé
L'influence du pharynx sur les oreilles était le sujet de vives discussions. Pour Kramer, il était impossible d'admettre le moindre rapport entre l'hypertrophie des amygdales et l'oblitération de la trompe. Ce à quoi rétorquait, Ménière en 1848: " je possède plus de 100 observations de surdité chez des jeunes sujets dans lesquelles la guérison complète de la maladie a été le résultat de l'ablation d'amygdales hypertrophiées". Vingt ans plus tard, Von Trltsch préconisait lui aussi l'ablation des amygdales hypertrophiées et cautérisait souvent la cavité naso-pharyngienne avec du nitrate d'argent.
Mais c'est à un médecin de Copenhague, Meyer, qu'on doit la mise en évidence de la responsabilité des végétations adénoïdes dans certaines surdités. En 1868, il rapporta la guérison par adénoïdectomie d'une surdité jusque-là incurable. Puis, il montra la fréquence des surdités d'origine nasale. En quelques années, les surdités rhinogènes eurent un grand succès auprès de tous les auristes et le traitement naso-pharyngé prit une place primordiale. Pour Politzer, "mieux vaudrait soigner le nez seul que seule l'oreille. Le traitement doit donc s'adresser au rhino-pharynx qui a donné naissance à la maladie, à la trompe qui a favorisé la progression, et à l'oreille moyenne où elle s'est arrêtée". Cette démarche pour le traitement des otites chroniques à tympan fermé ne sera plus discutée pendant plusieurs générations.
2- Les otites purulentes chroniques
La pathologie
Pendant très longtemps, ces otites furent aussi appelées "otorrhées chroniques" ou "suppurations chroniques de l'oreille". Les auristes du début du 19ème siècle savaient que certains cas d'otorrhée s'accompagnaient de "caries osseuses" pouvant entraîner des lésions incurables. En fait, cette otorrhée paraissait d'origine mystérieuse. Pour Itard, il existait deux types d'otorrhée purulente :
- l'une idiopathique, prenant son origine dans l'oreille,
- l'autre symptomatique, prenant son origine au-delà de l'oreille, le plus souvent dans le crâne et appelée alors otorrhée cérébrale.
Tous les auristes connaissaient l'aphorisme de Wilde: " tant qu'il existe une otorrhée, nous ne pouvons dire où, quand, et comment elle finira, ni où elle conduira". Il fallait donc tout mettre en oeuvre pour la combattre.
Quant au cholestéatome, il fut longtemps considéré comme une conséquence et non comme une cause de l'otorrhée. Von Trltsch dans les années 1860, évoquait la possibilité que l'accumulation du pus puisse donner, selon les circonstances, soit une tuberculose du rocher (il ne faut pas oublier que la découverte du B.K. date de 1882), soit un cholestéatome : "ces tumeurs rondes existent pendant des années à côté d'une otorrhée. Il s 'agit probablement de produits inflammatoires qui s'accumulent, se dessèchent, et finissent par former une tumeur solide".
En 1884, Politzer écrivait : " l'obstacle à l'écoulement du pus entraîne tantôt l'accumulation de masses visqueuses gris sale, tantôt l'accumulation de masses épithéliales cholestéatomateuses. Le pus retenu se transforme en une masse grumeleuse qui agit souvent d'une manière corrosive sur les parois de l'oreille moyenne". Mais dans un mémoire paru dans les Annales de 1891, Politzer adhérait aux idées nouvelles de Bézold. Cet auteur, en 1889, fournissait la preuve que le cholestéatome se produisait, dans toute une série de cas, par l'invasion de l'épiderme du conduit dans la cavité tympanique. Il avait constaté la coïncidence de masses cholestéatomateuses avec la perforation de la membrane de Shrapnell et pensait qu'une des causes pouvait être la raréfaction de l'air dans l'oreille moyenne. Pour Lermoyez, en 1902, le cholestéatome était encore une conséquence de la suppuration chronique de l'oreille moyenne et, par un cercle vicieux, l'entretenait à son tour et en aggravait le pronostic et le traitement. Et encore pendant près d'un demi siècle, les ouvrages d'otologie décrivirent le cholestéatome parmi les complications de l'otorrhée, au même titre que la "carie osseuse" ou les polypes.
On comprend ainsi que pendant les dernières décennies de la fin du siècle dernier, les auristes aient eu comme objectif thérapeutique essentiel d'empêcher l'accumulation du pus. Pour ce faire, ils eurent d'abord recours aux lavages par l'oreille externe et par la trompe; puis, pour rendre ces lavages plus efficaces, ils ont été amenés à enlever les osselets, à réséquer le mur de la logette, et à ouvrir la mastoïde.
La résection tympano-ossiculaire
La résection tympano-ossiculaire par voie du conduit
L'amélioration de l'audition parfois obtenue avec la résection du tympan dans les otites chroniques à tympan fermé avait bouleversé la notion bien ancrée que "la destruction de la membrane équivalait à la perte de l'ouïe". L'intervention, effectuée sous anesthésie locale, fut adoptée par plusieurs auristes tels que Kessel, Lucae, Schwartze, dés les années 70, pour certaines "surdités par ankylose ossiculaire". C'est donc sans réticence que la résection des reliquats tympaniques fut proposée dans les suppurations chroniques de l'oreille, en y associant éventuellement l'ablation du marteau et même de l'enclume, pour permettre un meilleur drainage de l'oreille. Tout naturellement, l'indication s'élargit aux otorrhées par "carie" de la caisse et de l'attique.
Ce fut l'intervention de choix pour nombre d'auristes de la fin du siècle dernier. Ludewig, de Halle, l'avait bien codifiée; il publia en 1891 une statistique portant sur 28 opérations pour lesquelles il notait 16 améliorations de l'ouïe et seulement 3 aggravations. Politzer la proposait volontiers lorsque les simples soins locaux et les lavages ne permettaient pas d'assécher l'oreille. En 1910, Luc écrivait encore, dans ses classiques "Leçons sur la suppuration de oreille moyenne": "il est bien prouvé aujourd'hui que, si ces osselets sont utiles pour l'audition à l'état normal, ils la desservent plutôt, lorsqu'ils sont immobilisés et altérés".
Elle était encore en bonne place dans l'ouvrage de Lermoyez paru en 1921. Pour lui, le traitement du cholestéatome se concevait en trois étapes, en dehors de menaces de complications:
- traitement conservateur par les voies naturelles: extraction du cholestéatome à la pince et lavages,
- traitement chirurgical par les voies naturelles ou ossiculectomie du marteau et de l'enclume, surtout utile pour les cholestéatomes de l'attique,
- traitement chirurgical par une voie artificielle, c'est à dire l'évidement pétro-mastoïdien.
Lermoyez conseillait de ne pas se précipiter pour franchir une étape. On pouvait même opter parfois pour un traitement palliatif consistant "à faire déblayer deux à trois fois par an son cholestéatome".
La faveur de cette résection tympano-ossiculaire, réputée ne pas entraîner de surdité, explique qu'elle fut facilement associée aux interventions mastoïdiennes.
La résection tympano-ossiculaire par voie sanglante rétro-auriculaire
C'est Stacke qui proposa, en 1889, cet abord effectué sous anesthésie générale, pour l'ablation du marteau, de l'enclume, et du reliquat tympanique. Il associait la résection, à la gouge, de la paroi externe de l'attique et faisait le grattage des "parties cariées". Cette intervention allait devenir un des temps de l'intervention radicale que proposait la même année Küster.
En 1891, Stacke fit de " nouvelles communications sur l'ouverture opératoire de l'oreille après décollement de la conque". L'auteur expliquait que cette voie donnait une très bonne vue sur la cavité tympanique à la lumière du jour. En cas d'atteinte de l'antre, il en effectuait l'ouverture et transformait l'ensemble en une "cavité plate". Il adoptait la stratégie de Kuster mais adoptait une tactique procédant de sa première intervention. Il terminait en recouvrant la cavité par un lambeau de périoste. Si cette méthode semble n'avoir pas eu beaucoup d'adeptes, le mérite de Stacke n'en fut pas moins grand d'avoir montré qu'on obtenait une excellente voie d'abord sur la caisse en décollant le pavillon.
La chirurgie mastoïdienne
L'ouverture mastoïdienne
C'est elle qui va constituer le sujet des controverses les plus passionnées. Les premières ouvertures mastoïdiennes réalisées au milieu du 18ème siècle pour des " caries mastoïdiennes", améliorèrent non seulement l'otorrhée mais aussi parfois l'audition. Il n'en fallait pas plus pour qu'un otologiste prussien, Jasser, en généralisa l'indication à toutes les surdités résistant aux cathétérismes tubaires. L'enthousiasme tomba brutalement en 1791, après le décès d'un médecin du Roi du Danemark, Von Berger, dont la vieillesse était ternie par une forte surdité associée à des vertiges et des acouphènes que rien ne calmait. L'intervention, faite au vilebrequin, avait été suivie de lavages de la cavité. Une méningite emporta la victime en quelques jours, stoppant brutalement l'essor de cette intervention pour plusieurs décennies.
Toutefois, en cas d'occlusion de la trompe, quelques autres tentatives d'ouverture mastoïdienne furent faites, notamment à Paris, pour permettre à l'air de pénétrer dans la caisse par la "perforation artificielle de la mastoïde", ou pour laver l'oreille. Quelques interventions connurent un certain succès mais aussi de graves complications. L'unanimité se fit alors pour condamner formellement l'intervention en dehors des suppurations mastoïdiennes manifestes ou de complications cérébrales. Dans ces cas, on commençait par une simple incision des parties molles rétro-auriculaires, l'incision de Wilde, et dans un deuxième temps, en cas d'échec, on entreprenait le traitement de l'ostéite mastoïdienne. Hors ces cas particulièrement graves, l'ouverture mastoïdienne resta bannie pendant plus d'un demi siècle.
La chirurgie antrale
Deux otologistes allemands, Von Trltsch et Schwartze, ont été à l'origine du renouveau de la chirurgie mastoïdienne. Ils ont eu le mérite non seulement de s'être lancés dans cette chirurgie mastoïdienne si mal réputée, mais surtout d'en avoir fait une intervention logique . Il fallait beaucoup de courage pour se lancer dans l'aventure. De nombreux auteurs, comme Bonnafont, étaient "d'avis qu'il vaut mieux traiter toutes les maladies de la caisse par le conduit, que de frayer un passage difficile dans une cavité opératoire douloureuse qui réussit rarement et qui n'est pas sans présenter quelques dangers". .
On doit à Von Trltsch:
d'avoir relancé cette chirurgie vers 1860, en même temps que Forget à Strasbourg;
d'avoir osé intervenir sur la mastoïde, même en l'absence de signes cliniques mastoïdiens ou de signes de gravité, uniquement devant une otorrhée résistant aux traitements locaux;
d'avoir proposé d'aborder la mastoïde en élargissant le conduit aux dépens de sa paroi postérieure.
Schwartze montra que la seule méthode rationnelle pour intervenir sur la mastoïde était d'ouvrir l'antre à l'aide d'une gouge, et non plus avec une tréphine ou un trépan.
La nouveauté était d'ouvrir l'apophyse mastoïde alors qu'elle ne paraissait pas extérieurement malade et qu'il n'y avait pas de signes de gravité. Le but était d'obtenir l'expulsion des fongosités purulentes dont la sortie ne pouvait être obtenue par les voies naturelles, et de permettre de laver les cavités. Schwartze avait même proposé de laisser une cheville en plomb pour éviter la fermeture de la cavité antrale et faciliter les lavages.
En 1882, Schwartze publia ses 100 premiers cas et montra que les 6% de mortalité n'étaient pas liés à l'opération elle-même. Trois ans plus tard, il faisait état de 114 nouveaux cas. Mais il avouait qu'il lui avait fallu de nombreuses années pour maîtriser l'intervention, et que ses premières indications et ses premières interventions étaient en fait "inadmissibles". Il était unanimement reconnu en Europe pour avoir la plus grande expérience dans cette chirurgie.
La chirurgie masto-attico-ossiculaire
La chirurgie radicale
Comme l'écrivait en 1895 Garnault dans son précis des maladies de l'oreille, jusqu'en 1889, les chirurgiens se désintéressèrent de la question de l'ouverture de l'apophyse mastoïde à laquelle ils étaient généralement opposés".
En 1889, Küster, chirurgien à Berlin, bouscula brutalement les habitudes des auristes, entraînés surtout aux soins locaux qu'ils facilitaient éventuellement par une ouverture chirurgicale. Küster proposait "d'ouvrir et mettre largement à nu tous les points où le pus se produit et ne rien laisser qui puisse s'opposer à son libre écoulement". Son intervention radicale consistait à détruire la paroi postérieure du conduit osseux et la paroi externe de l'attique pour mettre complètement à jour l'attique, la mastoïde, et la caisse. Les auristes reprochèrent à l'intervention de Küster de ne pas s'attaquer à l'antre et "d'opérer à côté du foyer morbide". Mais l'idée de la grande ouverture de l'ensemble des cavités de l'oreille moyenne allait être immédiatement adoptée. Dés l'année suivante, Stacke la réalisait en partant de l'attique. Beaucoup d'autres le firent en partant de l'ouverture antrale de Schwartze, tel Zaufal.
Ainsi naissait une nouvelle intervention née de la rencontre de trois conceptions pour traiter les otites purulentes chroniques: l'ouverture antrale, l'ouverture atticale avec ossiculectomie, la mise à plat des cavités. Elle allait bientôt être connue sous le nom "d'intervention radicale" et avoir rapidement un très grand succès. En France, Malherbe, chirurgien et anatomiste, y consacra sa thèse en 1895. Il créa le terme "d'évidement pétro-mastoïdien" pour bien montrer que l'ouverture ne portait pas seulement sur les cellules mastoïdiennes mais devait intéresser aussi l'antre en profondeur. Cet évidement correspond à l'actuelle mastoïdectomie. Malherbe appelait "évidement pétro-mastoïdien avec ouverture large de la caisse" ce qui s'apparentait à la cavité d'évidement actuelle, ou du moins à son ébauche. En effet, il faudra longtemps pour voir progressivement les opérateurs abaisser le "mur du VII" et réaliser une cavité régulière.
Très rapidement, , deux attitudes opposées s'affrontèrent:
- celle des "chirurgiens" qui n'hésitaient pas à réaliser la "grande opération" dès qu'ils constataient une carie des osselets, sans s'attarder à essayer tout autre traitement préalable;
- celle des auristes, "beaucoup plus temporisateurs, qui n'en viennent à cette extrémité que devant l'échec des thérapeutiques plus douces, longtemps et soigneusement mises en oeuvre" (Lermoyez).
La chirurgie "conservatrice"
La débauche "d'interventions radicales" allait entraîner dès le début du siècle suivant une réaction conservatrice. Ce nouveau courant a été parfaitement décrit par Maurice Sourdille. Élève de Lermoyez, il avait fait son périple viennois quelques semaines avant la déclaration de la Grande Guerre, et avait été marqué par Bondy. Il écrivait dans sa thèse de 1915, sur La trépanation mastoïdienne élargie et l'atticotomie transmastoïdienne: ""laissant de côté l'ossiculectomie qui semble avoir toujours joui d'une faveur inexpliquée, on s'attaqua à la reine du moment : la radicale. Heath crut l'avoir détrônée lorsqu'en 1904, il proposa un procédé opératoire sous le nom de "opération radicale modifiée" dont le but était de conserver, voire d'améliorer l'audition, par le respect du tympan et des osselets. La suppression de l'antre qu'il considérait comme le foyer principal, sinon exclusif des lésions, devait suffire à tarir l'écoulement". Il réalisait donc en fait une mastoïdectomie avec suppression de la paroi postérieure du conduit osseux mais conservation du mur de la logette et des osselets. En 1908, l'École viennoise, avec Bondy, adopte cette intervention avec quelques modifications, en particulier la suppression systématique de la paroi externe de l'attique. Elle revint alors en Allemagne sous le nom "d'opération radicale conservatrice". En France, elle fut introduite sous le terme "d'évidement partiel" .
La chirurgie masto-attico-tympanique "restauratrice"
Une nouvelle conception de la chirurgie de l'otite chronique était donc apparue, beaucoup plus fonctionnelle. Cet effort a été poursuivi en France par Maurice Sourdille dont l'article dans les Annales de 1929 sur "Le traitement chirurgical conservateur" était trop en avance sur son temps pour être apprécié. Dans cet article, Sourdille insistait sur la nécessité d'ouvrir toutes les cavités de l'oreille moyenne pour traiter l'otite chronique, mais "sans altérer aucun organe de l'appareil de transmission". Pour ce faire, l'auteur décrivait "l'attico-tympanotomie transmastoïdienne avec désinsertion de la membrane du tympan dans sa demi-circonférence postérieure, puis sa reposition". Il venait d'inventer le lambeau tympanoméatal et l'exploration de caisse moderne, alors que, jusqu'alors, l'accès à la caisse s'effectuait à travers une ouverture de la membrane.
Cette nouvelle conception peut être considérée comme réalisant la première technique de tympanoplastie. Elle permettait à Sourdille de traiter à la fois la pathologie infectieuse chronique et de fermer une perforation tympanique. Elle allait ouvrir la voie aux techniques de reconstruction tympano-ossiculaire proposées par Wullstein et Zöllner.
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Principales références
- 1821 : ITARD - Traité des maladies de l'oreille et de l'audition
- 1827: SAISSY- Essai sur les maladies de l'oreille
- 1838 : DELEAU - Traité du cathétérisme de la trompe d'Eustache.
- 1848 : KRAMER - Traité pratique des maladies de l'oreille.
- 1853 : WILDE - Practical observations on aural surgery
- 1860 : BONNAFONT - Traité théorique et pratique des maladies de l'oreille
- 1860 : TRIQUET - Traité pratique des maladies de l'oreille
- 1866 : MOOS - Klinik der ohrenkrunkheiten
- 1870 : Von TROELTSCH - Traité pratique des maladies de l'oreille
- 1874 : TOYNBEE - Maladies de l'oreille
- 1881 : URBANSTSCHICH - Traité des maladies de l'oreille
- 1882 : Von TROELTSCH - Les maladies de l'oreille chez l'enfant
- 1884 : POLITZER - Traité des maladies de l'oreille
- 1884 : SCHWARTZE - L'oreille.Maladies chirurgicales
- 1884 : MIOT et BARATOUX- Traité théorique et pratique des maladies des oreilles
- 1884 : DUPLAY - Techniques des principaux moyens de diagnostic et de traitement des maladies de l'oreille
- 1885 : GELLÊ - Précis des maladies de l'oreille.
- 1885 : LEVI - Manuel pratique des maladies de l'oreille.
- 1890 : HARTMANN - Les maladies de l'oreille et leur traitement.
- 1892 : HERMET - Leçon sur les maladies de l'oreille.
- 1892 : BARATOUX - Guide pratique sur le traitement des maladies de l'oreille.
- 1893 : GUERDER - Manuel pratique des maladies de l'oreille.
- 1894 : LERMOYEZ - Rhinologie, otologie, laryngologie à Vienne.
- 1895 : MÊNIERE E. - Manuel d'otologie clinique.
- 1895 : GARNAULT - Précis des maladies de l'oreille
- 1895 : MALHERBE - L'évidement pétromastoïdien dans les suppurations de l'oreille moyenne. Thèse Paris
- 1895 : COURTADE - Manuel pratique du traitement des maladies de l'oreille.
- 1902 : LERMOYEZ et BOULAY - Thérapeutique des maladies de l'oreille.
- 1910: LUC - Leçons sur les suppurations de l'oreille moyenne
- 1915 : SOURDILLE Trépanation mastoïdienne élargie et atticotomie transmastoïdienne Thèse Paris
- 1921 : LERMOYEZ, BOULAY, HAUTANT - Traité des affections de l'oreille
et les Annales des Maladies de l'Oreille et du Larynx- depuis 1875