Connaissez-vous Paul Ménière?
ou de l'intérêt d'aller boire à la source

Paul Ménière (sic) fut un des concurrents de Prosper Menière pour être gratifié de la découverte du vertige labyrinthique, l'autre concurrent était Emile Ménière (sic), le propre fils de Prosper, si on en croit les différentes éditions des Dictionnaires Larousse depuis 1923.
Paul Ménière est le fils putatif de Louis-Henry Bonnenfant (1) qui le cite dans la bibliographie de sa thèse présentée à Paris en 1874, une des toutes premières sur les vertiges auriculaires. Dans ce travail sur la Séméiologie des vertiges dans les affections de l'oreille, l’auteur attribue à un certain Paul Ménière le célèbre mémoire présenté à l’Académie de médecine en janvier 1861. En 1876, deux autres thèses alimentent le jeune Paul, celle d'Hippolyte Léo, Contribution à l'histoire de la Maladie de Ménière (2) , et celle de Paul Lhuissier sur Séméiologie du vertige (3). En fait, dans ces thèses, seul apparaît le nom, le prénom ne figurant que dans les bibliographies.
Le relais a été pris en 1882 par Ladreit de Lacharrière (4) dans un article très documenté concernant la partie pathologie (145 pages) de l'article oreille (309 pages) du célèbre Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. L'auteur décrivait longuement les affections labyrinthiques, et notamment la Maladie de Ménière. Il se référait à la thèse de Bonnenfant et évoquait les travaux de Paul Ménière. Dans la riche bibliographie, on ne trouve nulle part la référence aux publications de Prosper Menière, ce qui permettait à l’auteur de défendre avec d'autant plus de conviction son interprétation des travaux de son prédécesseur à l’Institution des Sourds Muets. "Si on veut que la dénomination de Maladie de Ménière conserve une signification précise, il faut ne l'appliquer qu'aux lésions décrites par l'illustre otologiste, c'est-à-dire l'hémorragie labyrinthique". Il y a tout lieu de penser que Ladreit de Lacharrière ne s'alimentait guère à la source. Avec une telle référence puisque l’auteur était alors l’auriste le plus réputé et cofondateur des Annales des Maladies de l’oreille, du larynx, du nez et du pharynx, il n’est pas étonnant que l'hémorragie labyrinthique ait eu un tel succès et influencé d’autres otologistes.
On trouve ainsi dans le Précis d'ORL d'André Castex (5, p. 736), "chargé de cours de laryngologie, rhinologie et otologie à la Faculté de médecine de Paris", édité en 1899, un chapitre sur la "maladie de Ménière". "J'étudie cette affection particulière après les hémorragies labyrinthiques, puisque Ménière l'envisageait comme telle… En 1861, Paul Ménière publiait une étude importante…". On comprend qu'avec le parrainage d’un ORL aussi connu que Castex, Paul et l'hémorragie labyrinthique aient eu beaucoup de mal à disparaître.
Mais est-on si sûr du prénom Prosper? La réponse nous est apportée par l'auteur lui-même dont l'intuition avait prévu le futur besoin d'authentification. "Si quelque jour la postérité a besoin de savoir mes nom et prénoms, mon âge, mes titres, elle trouvera l'indication la plus précise de toutes ces choses dans le contexte de cette pièce authentique"(6, tome 1, p.413).
Il s'agissait de l'acte de naissance de la fille de la Duchesse de Berry, alors en captivité à Blaye, en mai 1833, dont Prosper Menière avait été le témoin officiel. Prosper Menière passa ainsi plusieurs mois auprès de la Duchesse et fut le seul témoin qu'elle toléra pour assister le Professeur Deneux lors de l'accouchement. Le professeur Dubois, accoucheur mais aussi chirurgien, fut l'autre témoin officiel de l'accouchement. Mais comme la Duchesse lui reprochait son comportement au cours des soins donnés à son mari lors de son assassinat, elle refusait sa présence, pourtant imposée par le ministre de l’Intérieur. C'est donc derrière un paravent, et avec l'aide de Menière pour le masquer à la vue de la Duchesse, que le Professeur Dubois pu être témoin de l'heureux événement. Pas moins de 14 signatures figurent sur cet acte. Ainsi, la naissance de Anne Marie Rosalie, fille de la Duchesse de Berry, a permis de montrer le caractère virtuel de Paul Ménière. Ce qui n’empêche pas Paul de réapparaître de temps à autre.

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1- Bonnenfant Louis-Henry . Séméiologie des vertiges dans les affections de l'oreille. Thèse Paris 1874 , 55 pages Parent Imprimeur
2-Léo Hippolyte. Contribution à l'histoire de la Maladie de Ménière et du vertige auriculaire simple Thèse Paris 1876 , 56 pages Parent Imprimeur
3-Lhuissier Paul Séméiologie du vertige Thèse Paris 1876 , 52 pages, A. Parent Imprimeur
4-Ladreit de Lacharrière Jacques . Dictionnaire encyclopédique des Sciences Médicales Tome 17, article oreille, partie pathologie . Ed. G. Masson et P. Asselin 1882
5-Castex André. Maladies du larynx, du nez et des oreilles. J.-B. Baillière
Paris 1899, 808 pages
6-Prosper Ménière. La captivité de Mme la duchesse de Berry à Blaye, 1833, journal du Dr P. Ménière publié par son fils, le Dr É. Ménière, avec deux lettres inédites de Balzac et du maréchal Bugeaud – Paris, Calman Lévy, 1882, 2 vol.- volume 1: 492 pages, volume 2:464 pages