La tympanoplastie et Maurice Sourdille

Le terme de tympanoplastie date du début du XXème siècle. On le trouve en effet dans le livre de Georges Laurens de 1906 (1, p. 104) mais avec les mêmes significations que celui de myringoplastie, lui-même déjà utilisé. Depuis les célèbres travaux de H. Wüllstein et F. Zollner des années 50, le terme "tympanoplastie" signifie réfection du tympanum ou caisse. Une tympanoplastie est donc la reconstruction d'un système tympano-ossiculaire, associé au traitement d'éventuelles lésions de la caisse.
Toute tympanoplastie implique, comme premier temps, un abord de la caisse avec décollement du lambeau tympano-méatal. C'est à Maurice Sourdille qu'on doit deux innovations majeures qui représentent la base de toute tympanoplastie: l'exploration de la caisse par décollement d'un lambeau tympano-méatal et le traitement chirurgical des lésions de la caisse des otites chroniques. Ces deux innovations ont été décrites dans un article(2) intitulé : "le traitement chirurgical conservateur des suppurations chroniques de l'oreille moyenne. Atticotomie et attico-tympanotomie transmastoïdienne", paru en 1929.

Le lambeau tympano-méatal
La chirurgie de la caisse à tympan fermé était déjà pratiquée au cours des trois dernières décennies du siècle précédent, avec pour principales indications la chirurgie de l'étrier (extraction et surtout mobilisation), la dissection des adhérences, la section du muscle du marteau, et même l'extraction du marteau et de l'enclume en dehors de toute inflammation. Dans tous ces cas, l'abord de la caisse s'effectuait par myringotomie réalisée soit au bistouri, soit au galvanocautère. Les incisions variaient selon les interventions et les opérateurs. Mais cet abord de la caisse laissait fréquemment une perforation qui était loin d'être considérée comme une complication. En 1890, dans un de ses articles sur la mobilisation de l'étrier, Miot (3) expliquait qu'il était parfois amené à "créer une perforation artificielle permanente au tympan, après avoir agi sur l'étrier pour maintenir l'amélioration obtenue". Dans son précis de 1908, Lannois (4 ,p. 330) expliquait que l'ablation des osselets ne donnait de bons résultats que si la membrane du tympan ne se reproduisait pas et laissait la tête de l'étrier très libre au fond de la caisse. Quant aux myringoplaties, la technique n'avait guère évolué depuis la première intervention proposée par Bezold en 1872, (voir article de Compertz????en dehors du matériau utilisé, toujours appliqué sur la berge avivée de la perforation. L'invention du lambeau tympanoméatal par Maurice Sourdille devait révolutionner le concept de l'abord de la caisse sans perforer la membrane.
Dans ses titres et travaux scientifiques rédigés à l'occasion de sa candidature à l'Académie de Médecine en 1959 (5), Maurice Sourdille expliquait comment l'idée lui était venue de créer ce lambeau taillé aux dépens du conduit fibreux adjacent à la membrane tympanique. Maurice Sourdille effectuait alors des tentatives de fenestration en deux temps, le premier consistant en un évidement partiel et le deuxième temps en l'ouverture du canal semi-circulaire avec le recouvrement de l'orifice.
Sourdille connaissait les échecs des différents otologistes qui s'étaient aventurés à réaliser l'ouverture labyrinthique, Barany en 1910, Jenkins en 1913, Hölmgren en 1917. "Tous déclaraient qu'il s'agissait d'une fermeture rapide de la fistule labyrinthique abandonnée au fond d'une cavité mastoïdienne et recouverte de tissus divers:graisse, épiploon, gutta-percha etc. Mais, de preuves, points, puisque la fistule restait invisible après l'opération. Eut-elle été visible qu'elle eut suppuré. Tout n'était qu'hypothèse: il fallait vérifier. J'ai donc pensé que le premier souci était d'exposer à la vue la fistule labyrinthique pour pouvoir en suivre l'évolution ultérieurement le plus longtemps possible, et aussi pour qu'elle puisse recevoir les ondes sonores,car il apparaissait vraisemblable que le retour de l'audition sur la table d'opération correspondait à la pénétration du son dans l'oreille interne par la fenêtre pratiquée sur le canal semi-circulaire. Le second était de réaliser cette exposition tout en évitant la suppuration auriculaire ou au moins labyrinthique. Il fallait donc trouver une membrane suffisamment mince et souple pour recouvrir la fenêtre sans bloquer le passage des ondes sonores, et suffisamment résistante pour s'opposer à l'infection venue de l'extérieur" ( 5 ).
"Il s'agissait donc de résoudre simultanément deux problèmes: l'un de physiologie acoustique, l'autre de technique chirurgicale. La réalisation de ces deux conditions ne me parut pas possible en une seule opération. Il fallait d'abord ouvrir la mastoïde à l'extérieur pour exposer le canal semi-circulaire horizontal, puis protéger la caisse et son contenu pendant le temps de la formation d'une cicatrice de la tranche osseuse mastoïdienne.., c'est à dire:
-dans un premier temps pratiquer un évidement partiel;
-dans le deuxième, ouvrir le canal semi-circulaire et recouvrir l'orifice en rabattant la cicatrice mastoïdienne préalablement préparée et relevée."(5)
Sourdille fit une première tentative avec une greffe de Tiersch . Mais trois mois plus tard, les greffes étaient éliminées. L'apparition d'une suppuration post-opératoire amena la malade à renoncer au deuxième temps prévu. Une deuxième tentative sans greffe de Tiersch donna très rapidement une suppuration mastoïdienne et tympanique. Mais pendant la période des pansements qui s'éternisait, il vit se former dans la partie antérieure et inférieure de l'attique "une sorte de plaie cicatricielle falciforme adhérant par son pied au bord supérieur du tympan et par son sommet au toit de l'attique. Je l'utilisais dans un temps intermédiaire pour recouvrir la chaîne des osselets et fermer l'attique interne par où le pus mastoïdien s'engouffrait dans la caisse. Quelques jours plus tard, l'oreille moyenne était sèche et je parvins rapidement à épidermiser normalement le reste de la cavité endo-mastoïdienne. L'alerte avait été chaude mais profitable. Il fallait que je trouve un moyen pour fermer l'attique et l'aditus et protéger les osselets dès la fin de l'opération. Les greffes de Tiersch ayant échoué, mais la cicatrice sus-tympanique ayant réussi, je l'ai remplacée par un lambeau cutané pédiculé, adhérant au bord supérieur du tympan, nourri par lui et emprunté à la peau mince, doublé de périoste qui recouvre le mur de la logette et la voûte du conduit auditif externe. Je l'appelai "plastique interne" parce que c'était le contrepied de la technique habituelle des évidements partiels et totaux qui conservait toute la peau du conduit à partir du tympan, pour en faire un lambeau à charnière externe méatal et recouvrir la plaie endomastoïdienne".
Avant d'avoir recours à l'utilisation de cette plastique interne pour recouvrir le canal latéral lors des fenestrations, Maurice Sourdille essaya ce lambeau dans la chirurgie de l'otite chronique. La vitalité de ce lambeau de peau du conduit auditif externe en continuité avec la membrane tympanique et non plus en continuité avec la partie latérale de l'oreille allait lui donner la clé de l'exploration de caisse telle qu'elle est pratiquée actuellement.

Le traitement des lésions de la caisse dans les otites chroniques
Maurice Sourdille fut l'interne de Marcel Lermoyez, célèbre otologiste parisien, durant deux années (1913-1914), à une époque où la chirurgie de l'otite chronique était en plein développement. L'évidement pétro-mastoïdien avec résection des reliquats tympano-ossiculaires était alors de plus en plus controversé, du moins pour certaines otites chroniques avec conservation d'une bonne audition.
Heath avait proposé, dès 1904, une intervention moins mutilante avec conservation des restes tympano-ossiculaires et du mur de la logette. Elle reposait sur le principe que l'antre était le point de départ des lésions. Bondy, en 1908, apporta une modification à cette intervention partielle, en lui ajoutant le sacrifice du mur de la logette. Mais l'unanimité était loin de se réaliser sur ces interventions partielles. En particulier, lors d'un Congrès international d'Otologie à Boston en 1906, Heath fut très critiqué, et ceci d'autant plus que les interventions qu'il réalisa lors de ce Congrès furent loin d'être couronnées de succès.
C'est donc dans ce climat d'incertitude vis-à-vis des interventions partielles que Marcel Lermoyez confia à Maurice Sourdille le soin de "reprendre le sujet à la base et d'en faire le sujet de sa thèse". Il l'envoya passer quelques semaines à Vienne puis il voit opérer, notamment, les Professeurs Neumann et Bondy.
En 1915, Maurice Sourdille soutenait sa thèse sur ce sujet de la chirurgie partielle des otites chroniques avec le titre de "trépanation mastoïdienne élargie et atticotomie transmastoïdienne. (Evidement partiel)".(6)
En fait, ces deux interventions correspondaient aux interventions de Heath et de Bondy. Le terme de "trépanation élargie" qui correspondait à l'intervention de Heath signifiait qu'il ne s'agissait en réalité que d'une mastoïdectomie et ne pouvait donc être proposée qu'aux lésions purement mastoïdiennes. Quant à l'atticotomie transmastoïdienne correspondant à l'intervention de Bondy, la dénomination proposée par Sourdille signifiait que le geste majeur était l'atticotomie, réservée aux lésions de l'attique externe avec perforation de la membrane de Shrapnell.
Pour Sourdille, l'intérêt d'associer une mastoïdectomie à l'atticotomie était de faciliter la résection du mur de la logette d'arrière en avant, risquant ainsi de léser beaucoup moins les osselets qu'en intervenant de dehors en dedans.
Quant aux otites chroniques avec perforation de la membrane tympanique, elles traduisaient pour l'auteur un trajet fistuleux dans l'attique interne, faisant communiquer les lésions de la mastoïde avec celles de la caisse. Dans ce cas, seul l'évidement classique avec sacrifice tympano-ossiculaire pouvait être efficace. En 1921, Lermoyez, Boulay et Hautant (7) reprenaient les travaux de Sourdille, et ajoutaient un "évidemment subtotal", qui était un évidement partiel encore plus étendu,..avec ablation de l'enclume sans toucher au tympan et en respectant la caisse. Ainsi, au cours des années 1920, la chirurgie fonctionnelle de l'otite chronique ne pouvait s'appliquer dés lors que les lésions atteignaient la caisse.
Dans ce même article de 1929 où il décrivait le lambeau tympano-méatal, Maurice Sourdille apportait des idées très innovantes dans le traitement des otites chroniques. Poursuivant le travail publié dans sa thèse, il apportait une élégante solution pour ne pas sacrifier les reliquats tympano-ossiculaires en cas de lésions masto-attico-tympaniques. Pour ces lésions, il avait essayé sans succès l'atticotomie transmastoïdienne malgré des soins médicaux prolongés dans les suites opératoires. L'innovation portait sur l'association à la masto-atticotomie d'un traitement chirurgical des lésions de la caisse. "Pour ces cas où il existe dans la caisse, derrière le tympan et les osselets, des centres de résistance, zone d'infiltration de cellules rondes, fongosités, foyer d'ostéite..., il faut une technique plus poussée. Aussi, ai-je appliqué, ces temps derniers, à cette variété de suppuration, un procédé général d'exploration tympanique que j'ai imaginé récemment dans un but tout différent"(2). Maurice Sourdille appelait cette nouvelle intervention "l'attico-tympanotomie transmastoïdienne".
"Le but de l'attico-tympanotomie transmastoïdienne est de permettre l'ouverture, l'examen minutieux et aussi le traitement de toutes les cavités de l'oreille moyenne, y compris et surtout, la partie inférieure de la caisse du tympan, sans altérer aucun organe essentiel de l'appareil de transmission. Le moyen d'obtenir ce résultat est d'associer à l'atticotomie transmastoïdienne telle que je l'ai décrite, la désinsertion de la membrane du tympan dans sa demi-circonférence postérieure, puis sa reposition..."
"Utilisant cette continuité (évidemment très fragile) du pourtour de la membrane tympanique avec la portion profonde du revêtement avec d'infinies précautions, toute cette portion postérosupérieure du fond du conduit auditif membraneux, et arrivé au niveau de l'insertion du pourtour de la membrane tympanique dans le sulcus tympanicus, je la désinserre à l'aide d'une petite faux tranchante, depuis l'incisure de Rivinus jusqu'au plancher du conduit auditif externe. Refoulant en bas et en avant la membrane du tympan, toujours adhérente au conduit auditif externe membraneux, j'expose d'abord à l'œil toute la partie antérieure et inférieure de la caisse du tympan jusqu'à l'orifice tubaire, puis réséquant à la gouge en bas et en arrière la partie postéro-inférieure du sulcus tympanicus, je dégage largement le sinus tympani et la région des deux fenêtres : j'explore dans sa totalité la chaîne des osselets et je vérifie en particulier l'état de la branche descendante de l'enclume, de l'étrier, de la fenêtre ovale et de la fenêtre ronde : les lésions sont traitées soit par un léger curetage, soit par une cautérisation chimique ou le simple drainage" (2) .
Selon les cas, Maurice Sourdille se contentait de remettre en place la membrane, ou bien de tailler dans le conduit membraneux un lambeau supérieur qu'il rabattait sur les osselets dans la région atticale, la "plastique interne".
Pour Sourdille, "le résultat du rabattement de ce lambeau plastique est de fixer la membrane du tympan sur le cadre osseux élargi en bas par la résection du pied du facial, de lui laisser une tension suffisante, sans s'opposer cependant à sa rétraction, qui permet la fermeture spontanée de la perforation tympanique. Enfin, on obtient une cicatrisation immédiate de toute cette portion de la caisse sans formation de tissu fibreux, d'où guérison extrêmement rapide de la plaie opératoire, bonne vascularisation de la cicatrice et bon résultat fonctionnel".

Conclusion
La condamnation sans appel de la chirurgie de l'étrier au congrès d'otologie de 1900 (8,9,10) a pu paraître comme une erreur majeure pour le développement de la chirurgie fonctionnelle de l'oreille puisqu'il fallut plus d'un demi siècle pour reprendre la mobilisation de l'étrier avec Rosen . A l'époque, cette chirurgie exposait à de graves complications. Les nombreux échecs relevaient de multiples causes: exploration fonctionnelle rudimentaire, absence de moyens grossissants, et surtout abord de la caisse transmembranaire majorant le risque infectieux et fonctionnel. Cette condamnation de la chirurgie de l'étrier a eu pour conséquence le développement de la chirurgie fonctionnelle labyrinthique extrastapédienne, tant au niveau du promontoire que des canaux semi-circulaires. C'est en développant la chirurgie du canal latéral que M. Sourdille fut amené à inventer le lambeau tympanoméatal. Cette innovation constitua un progrès majeur. Elle alla de pair avec l'exploration de la caisse et son traitement pour les otites chroniques. Aussi est-il difficile de porter un jugement sur la condamnation de la chirurgie stapédienne en 1900.

--------------------------------------

1-Laurens G. Chirurgie oto-rhino-laryngologique. Paris Steinheil Eds. 1906,960p.
2-Sourdille M. Le traitement chirurgical conservateur des suppurations chroniques de l'oreille moyenne. Atticotomie et attico-tympanotomie transmastoïdienne. Annales des Maladies de l'oreille, du larynx, du nez et du pharynx 1929; 48: 690-699
3-Miot C. De la mobilisation de l'étrier. Revue de Laryngologie, d'otologie et de rhinologie 1890;7: 145-162
4-Lannois M. Précis des maladies de l'oreille, du nez, du pharynx et du larynx. Collection Testut Paris Octave Doin Eds. Tome I, 845p.
5-Sourdille. Titres et travaux scientifiques. Dactyl. 1959
6-Sourdille M. Trépanation mastoïdienne élargie et atticotomie transmastoïdienne. (Evidement partiel).Thèse Paris 1915 Octave Doin Eds. 93 p.
7-Lermoyez M., Boulay M. et Hautant A. Traité des affections de l'oreille 1921 Paris Octave Doin Eds. Tome I , p. 774
8-Botey R. La traitement chirurgical de la sclérose otique. Annales des Maladies de l'oreille, du larynx, du nez et du pharynx 1900; 26: 129-140
9-Siebenmann.F. Traitement chirurgical de la sclérose otique. Annales des Maladies de l'oreille, du larynx, du nez et du pharynx 1900; 26: 467-474
10-Laurens G. La chirurgie de la surdité. Le procès de l'otite scléreuse devant le congrès d'otologie de 1900. Extrait de la presse médicale 1901, n°32, 20 avril Georges Carré et C Naud Ed. Ed. Paris 1901, 42 p.